Etat et justice sociale : Les documents complémentaires

Mobilité sociale : les documents complémentaires

Qu’est-ce qu’une fiscalité juste ?

 

 

Pour la plupart des citoyens, le débat public sur les impôts est incompréhensible. Le système fiscal repose en effet sur une multitude de prélèvements complexes, dont les principes de fonctionnement sont différents. Quelques clés de lecture. Par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.


Il existe trois principales formes d’impôts [1] : l’impôt forfaitaire (une somme fixe), proportionnel (en proportion du revenu par exemple) ou progressif (dont la proportion augmente avec le revenu).

L’impôt forfaitaire

L’impôt forfaitaire consiste à prélever un même montant à chaque contribuable. C’est la forme la plus rudimentaire de fiscalité et la plus injuste, puisqu’elle ne tient pas compte des niveaux de vie  . Elle ne change pas les écarts absolus de revenus, mais accroît les inégalités relatives. Si l’on prélève 100 euros à une personne qui en gagne 1 000 et à une autre qui en touche 2 000, l’écart entre eux reste de 1 000 euros mais le rapport, qui était de à 2 à 1, passe de 1 à 2,1. Ce type d’impôt est en voie de disparition, mais il demeure en France notamment avec la redevance télévision [2], qui prélève plus de trois milliards d’euros sur la grande majorité des foyers sans tenir compte de leur niveau de vie  , sauf rares exceptions.

L’impôt proportionnel

La deuxième forme de prélèvement est proportionnelle aux revenus ou à la consommation. Elle réduit les inégalités absolues (en euros). Une taxe de 10 % de 1 000 euros, représente 100 euros. Sur 2 000 euros, c’est 200 euros. L’écart de revenus passe de 1 000 euros à 900 euros après impôts. Ce type d’impôt ne change rien aux inégalités relatives (en pourcentage). L’écart reste de 1 à 2 avant impôt (2 000 euros contre 1 000 euros) comme après impôt (1 800 euros contre 900 euros). En France, l’essentiel de notre fiscalité fonctionne ainsi : c’est le cas de la contribution sociale généralisée ou des cotisations sociales, comme les impôts indirects, comme la Taxe sur la valeur ajoutée. Les cotisations sociales sont proportionnelles aux revenus, la TVA est proportionnelle aux dépenses (voir encadré).

La TVA : juste ou pas ? [3]
La TVA est souvent jugée injuste car l’impôt payé est inversement proportionnel au revenu. C’est une taxe sur les dépenses de consommation. Plus on est riche, plus on épargne et moins on consomme en proportion de son revenu (tout est relatif…). Rapportée au revenu, la part de la TVA payée sur la consommation diminue avec l’enrichissement.
Cette taxe a des défenseurs qui ont de réels arguments [4] : l’important est en effet de taxer ce qui comble un besoin, et l’épargne ne comble rien, à première vue. Toute somme épargnée sera taxée un jour : soit au moment de l’héritage, soit lors de l’achat d’un bien ou d’un service. Ce n’est pas faux, souvent la TVA est critiquée de façon simpliste. Reste que cette taxe a deux inconvénients. D’une part, elle n’est pas progressive (comme l’impôt sur le revenu) et d’autre part, dans un monde incertain, l’épargne a aussi une utilité certaine : se prémunir pour l’avenir. Taxer les revenus plutôt que la consommation permet de taxer directement l’épargne et éviter que des rentes ne se constituent.

L’impôt progressif

La troisième forme de prélèvement est dite « progressive ». On parle de « progression », parce que les taux de prélèvement augmentent avec la valeur de l’assiette [5] taxée. C’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu. Plus le revenu augmente, plus le taux de prélèvement s’accroît. Le taux le plus élevé est dit « marginal ».

L’impôt progressif réduit les inégalités absolues et relatives. Si vous prélevez 10 % sur les revenus de 1 000 euros et 20 % sur les revenus de 2 000 euros, vous obtenez après impôts des revenus de 900 euros et 1 600 euros, soit un rapport qui passe de 1 à 2 à 1 à 1,8. La légitimité de ce type d’impôt est ancienne, l’économiste classique du XVIIIe siècle Adam Smith y était favorable. Pour une raison simple : les 1 000 premiers euros gagnés par une personne lui sont d’une utilité plus grande que les 1 000 euros gagnés par celui qui en perçoit déjà un million. Le second peut plus facilement s’en priver que le premier. C’est au nom de ce critère qu’il est apparu plus juste et économiquement plus efficace de taxer à un taux moins élevé ceux dont les revenus sont les plus faibles. En France, la fiscalité progressive ne représente qu’une part très faible de l’impôt.

Et les dépenses ?

Pour apprécier la justice d’un système fiscal, on devrait tenir compte de la forme des dépenses. Recettes et dépenses sont largement imbriquées : certaines réductions d’impôt (par exemple celles accordées aux journalistes, où à ceux qui emploient des femmes de ménages) sont mêmes qualifiées de « dépenses fiscales » par le ministère du budget et difficile à classer : pas vraiment des dépenses, mais de vrais manques à gagner pour les recettes de l’Etat : on parle de « niches fiscales ».

Apprécier l’aspect redistributif global de la dépense publique est un casse-tête. C’est évident pour l’ensemble des prestations dites sous conditions de ressources : minima sociaux, allocations logements, etc., qui profitent aux plus démunis. Mais pour le reste, comment statuer ? A qui profite l’action de la police ou de la défense nationale ? L’éducation gratuite rend son accès possible aux plus démunis, mais le financement de l’enseignement supérieur bénéficie en masse aux catégories les plus favorisées… Quant au financement de la santé, il profite surtout aux plus âgés, dont les dépenses sont plus élevées.

Jusqu’où peut-on prélever ? Trop d’impôt tue-t-il l’impôt ?
L’adage « trop d’impôt tue l’impôt » est une évidence : si l’on fixe le taux de prélèvement à 100 % des revenus, personne ne voudra travailler, la collectivité ne collectera plus rien et ne pourra donc plus rendre de services. Personne ne sait où se situe le seuil à partir duquel les prélèvements ont un effet négatif sur l’activité. Les comparaisons internationales de niveaux de prélèvements obligatoires n’ont qu’une portée limitée : on compare des services rendus différents. Dans un pays où les retraites sont financées sur la base de versements individuels à des fonds d’investissement privés, les prélèvements obligatoires sont inférieurs. Même chose pour l’école. On paie plus d’impôts en France car la scolarisation à trois ans est gratuite, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays.
Le fonctionnement des principaux impôts sur les ménages
Données 2011
  Type d’impôt Assiette Montant en milliards Part de l’ensemble des prélèvements
Cotisations sociales Proportionnel Salaires 333 38,0%
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) Proportionnel Consommation 130,7 14,9%
Contribution sociale généralisée Proportionnel Salaires 88 10,0%
Impôt sur le revenu Progressif Revenu 50,6 5,8%
Taxe foncière (propriétaires) Proportionnel Valeur locative 26,7 3,0%
Taxe d’habitation (locataires et propriétaires) Proportionnel Valeur locative 16 1,8%
Taxe sur les produits énergétiques Proportionnel Consommation 13,2 1,5%
Frais de notaire* Proportionnel Valeur du bien 10,8 1,2%
Successions Proportionnel Patrimoine 6,9 0,8%
Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) Progressif Patrimoine 4,3 0,5%
Total     680,2 78%
Autres impôts sur les ménages et impôts sur les entreprises     195,8 22%
         
Total général     876 100%
* Droits de mutation à titre onéreux
Source : Rapport sur les prélèvements obligatoires 2013 du ministère du Budget

Quel bilan dresser du système fiscal français ?

Une fois que l’on a compris le fonctionnement du système fiscal, comment apprécier la situation en France en regard des critères de justice sociale ? [6]

Des niches que l’on ne peut nettoyer

Le système français a un premier défaut : il est opaque. En particulier, les bases fiscales de l’impôt sur le revenu ne sont pas claires, du fait de très nombreuses « niches », des systèmes de dérogation à la règle, qui font que certains paient moins que d’autres, des employeurs de personnel domestique aux investisseurs dans l’immobilier. Cette situation est critiquée par l’ensemble des partis politiques, mais les défenseurs des niches savent les préserver. Sur ce sujet, la démagogie est très grande entre les discours et les actes.

Les impôts locaux datent des années 1960

La base qui sert de calcul aux impôts locaux n’a pas été révisée depuis les années 1960 ! Du coup, les habitants des HLM (à l’époque, ils représentaient le confort) sont pénalisés en matière d’impôts par rapport aux centres-villes, qui à l’époque étaient souvent en mauvais état. Cette rénovation demande une forte volonté politique. Une réforme a été amorcée pour les locaux professionnels par le précédent gouvernement. Pour les particuliers, rien ne devrait être fait avant 2015…

Du quotient familial à la redevance télé, de nombreuses injustices

De nombreux impôts fonctionnent de façon particulièrement injuste. Ainsi le mécanisme dit de « quotient familial » de l’impôt sur le revenu procure un avantage (Heureusement plafonné) qui augmente en fonction du nombre d’enfants et du niveau de vie ! La France continue par ailleurs à disposer de prélèvements fixes, les plus injustes. C’est le cas de la redevance télévision. Cette taxe est défendue notamment par les milieux intellectuels et notamment de l’audiovisuel public (qu’elle finance), qui constituent un groupe de pression important.

Et la progressivité ?

Le système fiscal français est globalement proportionnel sur les revenus (cotisations sociales et CSG) ou sur la dépense (TVA). L’impôt progressif est le seul à réduire les inégalités relatives. Dans ce domaine, il y a deux débats distincts. Le premier porte sur la part de l’impôt progressif dans l’ensemble des recettes fiscales : il est réduit en France. L’impôt sur le revenu rapporte 50 milliards d’euros, contre 130 milliards pour la TVA. Il représente moins de 6 % de l’ensemble des recettes fiscales et se situe parmi les plus faibles de l’OCDE. Le second porte sur le degré de progressivité : comment sont étalés les différents taux, et quel est le taux le plus élevé. Les plus aisés mettent en avant qu’à trop les taxer ils seront découragés. Aucune étude ne fait état d’une fuite de contribuables ou de « désincitation » au travail par l’impôt quand les taux de prélèvements progressifs augmentent. L’exemple des pays scandinaves montre qu’une fiscalité progressive supérieure à la nôtre n’empêche pas d’avoir une grande qualité de vie et ne produit pas d’exode massif de catégories aisées sur-taxées. Les politiques de diminution massive des impôts progressifs menées depuis 2000 n’ont en rien relancé la croissance…

Définitions : impôts, prélèvements obligatoires, taxes
Les impôts constituent des prélèvements sur les ressources des contribuables, sans contrepartie déterminée, pour couvrir les dépenses publiques de l’Etat, des collectivités locales et de l’Union européenne. Les taxes sont des formes particulières d’impôt, le plus souvent associées à l’achat d’un bien. Les cotisations sociales sont des prélèvements sur les salaires dans un but précis, le financement de la protection sociale, ce ne sont pas des « impôts » à proprement parler. Les prélèvements obligatoires rassemblent l’ensemble des impôts et cotisations sociales. La redevance audiovisuelle ou la taxe d’enlèvement d’ordures ménagères ne sont pas considérés officiellement comme des « prélèvements obligatoires » car elles financent directement un service.
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Art. 13.
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Photo / © Olivier DIRSON – Fotolia.com

Notes

[1Dans cet article nous utilisons le terme « impôt » de façon générique pour décrire l’ensemble des prélèvements, voir notre définition en encadré.

[2Dont le véritable nom est « contribution à l’audiovisuel public et qui officiellement n’est pas considérée comme un impôt…

[3Lire aussi : « La TVA est-elle juste ? » sur notre site.

[5L’assiette, c’est la base qui est soumise à l’impôt

[6Il faudrait pour aller plus loin prendre en compte la question des générations et notamment la question de la fiscalité de l’environnement

Trouver une phrase d'accroche pour la dissertation

Sur le site de l’Étudiant, des citations pour débuter son introduction (en fin de page des liens pour travailler les autres chapitres)

Exercice interactif : La mobilité sociale ; enjeux et définitions

 

L'analyse des classes sociales de Bourdieu

Une vidéo

 

Un exercice

 

moyennisation ou maintien de la logique de classes ?

 

 

 

Enjeux sociaux et politiques des nouvelles fractures sociales

Christophe Guilluy, géographe, est consultant auprès de collectivités locales et d’organismes publics.
Christophe Noyé, géographe est travailleur indépendant pour le compte de collectivités locales, notamment sur l’intercommunalité et l’habitat privé. Il est chargé de cours à l’université de Paris-XII- Créteil.

Le fait saillant de ces deux dernières décennies n’est pas tant la paupérisation de quelques cités que la concentration des couches supérieures dans l’ensemble des villes-centres des grandes métropoles, y compris dans les quartiers populaires. Particulièrement visible à Paris, le phénomène touche en réalité toutes les métropoles régionales. Ces centres prescripteurs, en concentrant les catégories les plus impliquées dans la sphère publique, influencent de fait le débat et les grandes politiques publiques.

La question de la place des couches populaires de la ville est aujourd’hui posée. La relégation dans les très grandes périphéries urbaines et rurales d’une part croissante de la population, fragilisée par l’insécurité sociale, est une question politique majeure. Ce déclassement et parfois cette précarisation des salariés modestes illustrent la fin de la moyennisation de la société fran&iccedil;aise et l’éclatement d’une mythique classe moyenne.

Enregistrements audio de la conférence

 

Conférence

Les classes moyennes (article Sciences Humaines)

 

On en parle tout le temps, mais sait-on vraiment qui fait partie des classes moyennes ? Ce groupe social aux frontières floues a su jouer un rôle central dans la dynamique sociale. Les difficultés qu’elles semblent connaître aujourd’hui vont-elles retentir sur l’ensemble de la société ?

Quand sont-elles nées ?

C’est au tournant du XIXe siècle que l’expression « classe moyenne » commence à prendre son sens usuel. Avec la fin des sociétés d’ordre et le développement progressif de l’économie industrielle apparaissent des groupes sociaux qui n’appartiennent ni à la bourgeoisie ni au prolétariat. En Angleterre, la middle class, au singulier, désigne la nouvelle bourgeoisie industrielle et économique, en lutte avec la noblesse (nobility) et la haute société (gentry). En France, le pluriel « classes moyennes », proche de ce que Karl Marx qualifie de petite bourgeoisie, va désigner dans le discours politique ces nouvelles couches qui, dotées d’un minimum de capital, échappent à la vie au jour le jour qui est le lot du prolétaire, sans pour autant pouvoir se permettre l’oisiveté du bourgeois. Petits propriétaires terriens, petits commerçants, petits industriels, artisans et employés : toutes ces catégories ont en commun d’avoir dû construire leur position au lieu d’en hériter, en s’appuyant davantage sur leur éducation que sur leur modeste patrimoine. Les classes moyennes partagent aussi une ambition d’ascension sociale, qui peut s’appuyer sur les transformations en cours : diffusion de l’instruction, mise en place de filières méritocratiques, liberté de la presse, développement de la fonction publique territoriale et, au sein de l’armée, démocratisation du corps des sous-officiers et des officiers (1).
Vers 1930, une bascule s’opère : les classes moyennes indépendantes (paysans, commerçants, artisans…) déclinent au profit des classes moyennes salariées. Cadres, instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, ingénieurs… profitent du développement progressif de vastes bureaucraties, de la grande industrie et du secteur public, en particulier pendant les trente glorieuses. C’est l’époque où, aux États-Unis, le sociologue Charles Wright Mills, décrit le nouveau monde des « cols blancs » : « Bureaucrate salarié avec ses dossiers et sa règle à calcul, chefs de rayon, contremaîtres, policiers titulaires d’une licence en droit (…) qui peuplent un univers nouveau de gestion et de manipulation (2) » qui sont les figures de proue de la nouvelle société capitaliste américaine.
En France, ces « nouvelles classes moyennes salariées » (selon l’expression d’Alain Touraine en 1968) représentent 7 % de la population active avant la Première Guerre mondiale, 13 % au début des années 1930, 19,5 % en 1954 et 37 % en 1975.

(1) Christophe Charle, « Les “classes moyennes” en France. Discours pluriel et histoire singulière (1870-2000) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. L, n° 4, oct.-déc. 2003.
(2) Charles Wright Mills, Les Cols blancs. Essai sur la classe moyenne américaine, 1951, Maspero, 1966.

Qui en fait partie ?

Précisons-le d’emblée : il n’existe pas de définition objective et consensuelle des classes moyennes, qui sont avant tout une expression fourre-tout. On peut néanmoins proposer plusieurs découpages selon différents critères qui ont chacun leur pertinence : le revenu, la profession et le sentiment d’appartenance.
• Partir des revenus implique, en toute logique, que font des parties des classes moyennes ceux qui sont proches du revenu… médian. En France, le salaire médian des salariés à temps complet du secteur privé était de 1 484 e nets en 2005 (1 990 pour les titulaires de la fonction publique d’État). L’Observatoire des inégalités propose ainsi de considérer comme classes moyennes les 40 % de salariés du milieu de la répartition (au-dessus des 30 % les moins bien payés et au-dessous des 30 % les mieux payés), soit ceux qui touchent un salaire net compris entre 1 200 et 1 900 e. Le sociologue Louis Chauvel propose, lui, un découpage plus large pesant 60 % salariés, au sein duquel il distingue classe moyenne inférieure, intermédiaire et supérieure, avec des salaires étalés entre 1 143 et 3 429 e (tableau p. 23). On peut aussi se fonder sur le critère de l’origine des revenus : seraient alors exclus des classes moyennes ceux dont les revenus proviennent à plus de 40 % des prestations sociales (les 10 % de Français les plus pauvres) et ceux dont les revenus proviennent essentiellement de leur patrimoine (les 10 % de Français les plus riches). Autre critère possible en haut de l’échelle sociale : exclure ceux qui peuvent acheter le travail des autres, sous forme de service à domicile par exemple (nounous, femmes de ménage…).
• L’approche par la profession se fonde sur les catégories socioprofessionnelles élaborées par l’Insee, qui classent l’ensemble des professions existantes. Font alors partie des classes moyennes, de plein droit en quelque sorte, les bien nommées professions intermédiaires : instituteurs et infirmières, secrétaires de direction et interprètes, techniciens, agents de maîtrise… Au-delà sont pris en compte une partie des employés et des cadres supérieurs (tableau). Là encore, des critères supplémentaires permettent de trancher les cas litigieux : secteur d’activité, type de contrat, niveau de qualification.
• Si l’on part du sentiment d’appartenance, alors font partie de la classe moyenne… ceux qui pensent qu’ils en font partie. Une enquête de 2002 (1) met en évidence des lignes de partage, mais aussi le flou de cette catégorie. Parmi les personnes ayant le sentiment d’appartenir à une classe sociale (55 % des personnes interrogées), les professions intermédiaires sont celles qui, assez logiquement, se rattachent le plus à la classe moyenne (59 %), en particulier les instituteurs (62 %) et, plus étonnant, les contremaîtres et agents de maîtrise (63 %). Les employés viennent ensuite avec 42 %, mais avec d’importantes variations entre les employés des administrations et des entreprises (48 %) et les personnels de service aux particuliers (33 %), qui se sentent plus proches des classes populaires (36 %). 29 % des ouvriers ayant le sentiment d’appartenir à une classe sociale se rangent parmi les classes moyennes (53 % parmi les classes populaires). Cadres et professions libérales sont partagés : 39 % se rattachent aux classes moyennes, 36 % à une catégorie bourgeoisie/cadres/classes dirigeantes. De fait, c’est sans doute au sein de ces groupes que les frontières des classes moyennes sont les plus discutées.

NOTES

(1) Claude Dargent, « Les classes moyennes ont-elles une conscience ? »,Informations sociales, n° 106, 2003.

Conservatrices ou avant-gardistes ?

Les classes moyennes sont-elles, de par leur position intermédiaire dans la structure sociale, vouées à singer les valeurs et manières de faire de la classe dominante ? C’est ce que laissait entendre Pierre Bourdieu dans La Distinction (1). Pour le sociologue, l’individu petit-bourgeois, hanté qu’il est par la perspective de son ascension (à la bourgeoisie), affiche des opinions et goûts conformistes. En matière culturelle, il porte ses choix sur des « formes mineures des pratiques et des biens culturels légitimes » : cinéma et jazz, photographie, monuments et châteaux en lieu et place des musées… Et il a la morale de sa trajectoire : il défend l’effort individuel, la discipline, la rigueur. Et si certaines fractions de la petite bourgeoisie « nouvelle » (journalistes, représentants de commerce, animateurs culturels, puéricultrices…) défendent une morale hédoniste (souci de soi, esthétisation de la vie, sexualité épanouie), le sociologue n’y voit là que l’écho, dans les classes moyennes, de la lutte que la nouvelle bourgeoisie (cadres du secteur privé, professions libérales) livre à la bourgeoisie ancienne (patrons d’affaires).
Le sociologue Étienne Schweisguth a critiqué cette vision, car selon lui le petit-bourgeois n’est pas aussi conformiste que le dit P. Bourdieu : il peut être critique des rapports de pouvoir, prompt à faire grève, et reconnaît l’importance des facteurs sociaux dans la réussite scolaire ou professionnelle. Pour Paul Bouffartigue, les classes moyennes ne se contentent pas d’imiter la bourgeoisie. Leur rôle a été moteur « dans le développement, au cours des années 1970, de nouveaux mouvements sociaux extraprofessionnels (autour d’enjeux urbains et locaux, de la qualité de la vie, de l’écologie, de la condition féminine, etc.) (2) », ainsi que dans le développement de la vie associative et la montée de la gauche socialiste. On note de ce point de vue que les classes moyennes restent la clientèle la plus fidèle de la gauche qui, si elle a assez largement perdu les ouvriers, a fait en 2002 ses meilleurs scores dans les professions intermédiaires. Les classes moyennes, et spécialement leur pôle intellectuel (professeurs, journalistes) et public (fonctionnaires, travailleurs sociaux), semblent également occuper un poids prépondérant au sein des mouvements contestataires, en particulier le mouvement altermondialiste.

NOTES

(1) Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, 1979, Minuit, 1996.
(2) Paul Bouffartigue, « Le brouillage des classes », in Jean-Pierre Durand et François-Xavier Merrien (dir.), Sortie de siècle. La France en mutation, Vigot, 1991.

Y a-t-il eu moyennisation de la société ?

En 1988, le sociologue Henri Mendras publie La Seconde Révolution française (1). Analysant les transformations de la société française entre 1965 et 1984, il met en évidence une transformation de la structure sociale. Avec la disparition de la société paysanne traditionnelle, l’« embourgeoisement » des ouvriers, qui représentent une part décroissante de la population active, et le gonflement d’une vaste classe moyenne, on ne peut plus selon lui représenter la société sous la forme classique d’une pyramide. D’autant que les inégalités de salaire tendent à se résorber, que l’emploi féminin progresse, que de nouveaux métiers apparaissent, que les situations familiales se diversifient… Autant de facteurs qui favorisent un certain « émiettement des classes ». Il propose un schéma en forme de toupie (ci-contre) dans lequel, hormis une petite élite (3 % de la population) et une frange d’« exclus » (7 %), la société française se regrouperait au sein d’un vaste centre. À côté d’une vaste « constellation populaire » rassemblant 50 % de la population, H. Mendras dessine une « constellation centrale » (25 %) en forte expansion, notamment les cadres. Caractérisée par une mobilité sociale intense, cette constellation serait un lieu d’innovations sociales qui se diffuseraient à l’ensemble d’une société aux frontières entre groupes moins rigides. Le sociologue prend l’exemple fameux du barbecue, forme conviviale et décontractée de repas entre amis, lancé par la constellation centrale et adopté par tous, même si les modalités de cette pratique varient.
Séduisante, cette perspective a néanmoins été remise en cause car les tendances sur lesquelles elles s’appuyaient se sont essoufflées. S’il existait bien une dynamique de réduction des écarts de salaire durant les trente glorieuses, on constate depuis 1975 une stagnation en la matière, tandis que l’on réévalue l’importance des revenus, très inégalitaires, du patrimoine. Des biens de consommation comme l’ordinateur restent difficilement accessibles aux plus modestes, et l’on note des profils de consommation culturelle nettement différenciés entre groupes sociaux. Théâtre, lecture et visites de musée restent l’apanage des cadres et professions intellectuelles supérieures. Enfin, l’univers du travail continue d’opposer le travail des cadres (autonomie, valorisation des compétences) et celui des ouvriers et employés (dépendance et soumission). n

(1) Henri Mendras, La Seconde Révolution française, 1988, Gallimard, coll. « Folio essais », 1994.

Sont-elles en crise ?

Dans un essai qui a fait grand bruit, Les Classes moyennes à la dérive (1), le sociologue Louis Chauvel a souligné le risque de déclassement qui frappe aujourd’hui les enfants des classes moyennes (entretien p. 22). Il souligne en effet que la génération du baby-boom a profité d’une conjoncture économique exceptionnelle. Plein emploi, nombreux recrutements au sein d’une fonction publique croissante, augmentation de salaires de 4 % par an, système de protection sociale généreux… Tout cela a permis à de nombreux individus d’accéder à des positions de classe moyenne en rentabilisant au maximum leurs diplômes, d’effectuer de très bonnes carrières et de profiter bientôt de retraites à taux plein. Mais leurs enfants connaissent un retournement de conjoncture. Alors que le chômage se maintient à un haut niveau, le nombre de diplômés du supérieur ne cesse de croître alors que les effectifs de la fonction publique stagnent depuis vingt ans, sans que le privé ait pris le relais. D’où par exemple la multiplication des « intellos précaires », ou encore les manifestations contre le CPE, qui traduisent le décalage entre les espoirs légitimes de la jeunesse des classes moyennes et la réalité qu’ils auront du mal ne serait-ce qu’à faire aussi bien que leurs parents.
Une thèse dont le pessimisme a été discuté. Le sociologue Serge Bosc rappelle ainsi que la catégorie « professions intermédiaires » est toujours en expansion, passant de 18,6 % des emplois en 1982 à 23,1 % en 2003, soit près de 1,5 million d’individus en plus (2). Plusieurs spécialistes de l’éducation soulignent par ailleurs que, grâce à leurs parcours scolaires, les enfants des classes moyennes gardent des chances importantes d’ascension sociale. Denis Clerc critique, lui, le manichéisme de l’opposition entre une génération dorée et une génération sacrifiée (3). Il souligne que le ralentissement économique a touché toutes les classes d’âge, pas seulement les jeunes. Parmi les baby-boomers, certains connaissent à 50 ans la stagnation du salaire ou le chômage, et ne pourront bénéficier de leur retraite à taux plein. D’autre part, selon D. Clerc, si les jeunes connaissent effectivement des difficultés d’insertion plus grandes sur le marché du travail, rien n’indique que leur avenir soit dès lors joué. Ils peuvent bénéficier ultérieurement d’une conjoncture plus favorable pour finalement faire mieux que leurs parents.

NOTES

(1) Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.
(2) Serge Bosc, « Les équivoques d’un discours globalisant », in Serge Bosc (coord.), « Les classes moyennes », Problèmes politiques et sociaux, n° 938-939, La Documentation française, juillet-août 2007.
(3) Denis Clerc, « Les généralisations abusives de Louis Chauvel », L’Économie politique, n° 33, janvier 2007.

La classe moyenne selon Jaurès

« La classe moyenne se compose de tous ceux qui, ayant un certain capital, vivent beaucoup moins de ce capital que de l’activité qu’ils y appliquent. Ce sont les petits entrepreneurs, les petits commerçants, les petits industriels, les boutiquiers qui ont pris racine, qui ont une certaine clientèle (…). La classe moyenne comprend encore tous les propriétaires cultivateurs, qui ont un domaine suffisant pour y vivre,eux et leur famille (…). J’y rangerai également ces propriétaires moyens, qui ne travaillent pas précisément de leurs mains, mais qui, par la modestie de leur vie, nourrie surtout du potager, du verger et de la basse-cour, par l’activité quotidienne et minutieuse de leur surveillance sont en quelque sorte tout près de la terre. Enfin la classe moyenne comprend tous les employés assez appointés pour pouvoir faire quelque épargne et attendre sans trouble une place nouvelle, tous les membres des professions libérales et des administrations publiques assimilées à ces professions. Tous ces hommes ne sont pas nécessairement, comme le petit entrepreneur, en possession d’un capital actuel ; leur capital a été bien souvent absorbé par les frais d’éducation, mais cette éducation même le représente. À l’inverse du prolétariat, la classe moyenne est caractérisée, au point de vue économique, par une sécurité relative de la vie et par une assez large indépendance. »

La société en toupie

Plutôt qu’à l’image classique de la pyramide, Henri Mendras proposait de se référer, pour représenter la société française, à l’image de la toupie. Selon lui, elle rendrait mieux compte, d’une part, de la place centrale qu’ont conquise les classes moyennes entre 1965 et 1984, avec notamment l’explosion des cadres et, d’autre part, du rôle moteur qu’elles jouent en matière de styles de vie. Le « ventre » de la toupie symbolise aussi l’effacement des barrières de classes dans une société à forte mobilité sociale : il y a toujours un haut et un bas, mais d’une certaine manière tout le monde est un peu « moyen » – donc plus personne ne l’est…

Louis Chauvel, professeur à l’IEP-Paris, chercheur à l’OFCE et à l’OSC.

Mon sous-titre

Les classes sociales : Marx vs Weber, vidéos et exercices interactifs

Karl Marx

 

Marx, Weber et la structure sociale

Une troisième vidéo 

 

Un premier exercice

 
Un autre exercice :

 

 

Afficher les mentions légales | Conditions générales d'utilisation | Aide à la rédaction du registre de traitement
Nom et adresse de l’établissement scolaire
lycée gay lussac limoges
Nom du directeur de la publication
laurent vergnole
Nom du responsable de la rédaction
laurent vergnole
Nom et adresse du fournisseur d’hébergement
OVH 2 rue Kellermann – 59100 Roubaix