Que change la réforme fiscale de Trump ?

Article provenant du journal La Croix
Recueilli par Antoine d’Abbundo et Mathieu Castagnet , le 21/12/2017 à 6h00
 
 
 

 

La grande réforme de la fiscalité promise par le président américain devait être définitivement adoptée hier par le Congrès. Elle va conduire à une réduction d’impôt de 1 500 milliards de dollars (plus de 1 250 milliards d’euros) sur dix ans. Le texte comporte également des dispositions touchant les multinationales étrangères implantées sur le sol américain.

 

« Un léger surplus de croissance très cher payé »

Ludovic Subran

Chef économiste d’Euler Hermes

Si l’on envisage les choses au niveau microéconomique, la réforme fiscale voulue par Donald Trump sera bénéfique à court terme. Elle va notamment contribuer à améliorer la situation financière des entreprises comme le quotidien des familles américaines. La baisse du taux d’imposition fédéral sur les sociétés, de 35 % à 21 %, va ainsi donner un bol d’air aux entreprises, notamment aux plus importantes, qui vont pouvoir reconstituer leurs marges et leurs profits.

Mais cette relance n’intervient pas au bon moment parce que la croissance est déjà très forte. Il n’est pas sûr que les entreprises en profitent pour investir. Beaucoup préféreront servir leurs actionnaires, si bien qu’au final les gains en productivité et en création d’emplois pourraient être plus modestes qu’escompté par les partisans de la réforme.

De même, la refonte de l’impôt sur le revenu va redonner du pouvoir d’achat à tous les ménages. Mais là encore, l’effet sera limité. D’abord parce que la baisse des prélèvements, effective dès février prochain, devrait d’abord profiter aux plus aisés. Ensuite parce que le gain s’annulera pour la moitié des foyers sur la décennie en raison de l’inflation et de l’expiration de nombreux articles prévoyant des réductions ou des abattements fiscaux.

Surtout, sur le long terme et au plan macroéconomique, cette réforme apparaît très coûteuse avec un retour sur investissement problématique.

Le surplus de croissance ne devrait pas excéder 0,5 % par an, ce qui porterait le taux à 3,5 %. Mais à quel prix ? Aujourd’hui, aux États-Unis, la dette publique ne cesse d’augmenter, d’environ 1 000 milliards de dollars chaque année depuis dix ans. Si bien qu’elle dépasse désormais 20 000 milliards de dollars (16 900 milliards d’euros), soit plus de 100 % du produit intérieur brut.

Or, le cadeau fiscal de Trump ne va pas arranger les choses. On estime à 1 500 milliards de dollars (1 270 milliards d’euros) le coût de la baisse d’impôts pour les finances publiques sur la période 2018-2027. Il est impossible que le regain prévu de croissance génère suffisamment de recettes pour compenser ce manque à gagner. Les déficits fédéraux vont donc continuer à se creuser, ce qui explique sans doute les réticences des élus républicains à voter cette réforme.

Enfin, cette réforme pourrait impacter nos économies. La possibilité offerte aux grandes compagnies de rapatrier leurs avoirs placés à l’étranger contre un taux d’imposition très faible va rouvrir le champ de l’optimisation fiscale, au moment où l’Europe cherche à mieux taxer les multinationales américaines actives sur son territoire.

De même, la baisse de l’impôt sur les sociétés de presque dix points pourrait forcer la cadence d’un mouvement vers le « moins-disant fiscal » déjà enclenché en Europe. À un moment où la montée des inégalités devrait plutôt inciter les États à faire de la redistribution, cette guerre fiscale annoncée n’est guère favorable à une croissance plus inclusive.

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« Des dispositions vont pénaliser les entreprises européennes »

Philippe Waechter

Chef économiste de Natixis Asset Management

La réforme fiscale américaine peut se faire sentir sur les économies européennes de deux façons. Le premier aspect, plutôt positif, c’est un possible dynamisme accru de l’économie américaine qui pourrait profiter aux entreprises européennes. On peut en effet espérer que les baisses d’impôts suscitent une demande accrue de la part des entreprises et des ménages américains, dont une partie profiterait aux entreprises européennes et françaises.

Il ne faut tout de même pas nourrir d’espoirs trop importants en la matière. Si la réforme peut effectivement avoir un effet à court terme sur l’économie américaine, l’impact global restera limité et temporaire. Toutes les simulations montrent que, après une baisse d’impôts les premières années, la majorité des Américains va in fine payer davantage. L’effet sur les entreprises européennes, s’il se produit, risque donc d’être très marginal et temporaire. Il y a donc peu de chances que cela soit suffisamment fort pour accélérer la croissance en Europe.

Le second aspect, plus problématique, vient du fait que cette réforme comporte plusieurs dispositions techniques qui vont pénaliser les entreprises étrangères, en matière de transfert de capitaux ou de flux de biens avec leurs filiales localisées aux États-Unis. Ce point a d’ailleurs été soulevé dans la lettre envoyée par plusieurs ministres européens de l’économie, dont Bruno Le Maire, au secrétaire d’État au Trésor américain.

Ces mécanismes vont conduire à une distorsion de concurrence. Plus largement, on peut voir ces mesures comme une volonté des États-Unis de sortir des engagements qui étaient les leurs pour aboutir à une situation discriminante. Cela constitue donc un coup de canif dans une dynamique globale qui fonctionnait plutôt bien.

Avec cette réforme, les États-Unis manifestent leur volonté de jouer des coudes pour bousculer leurs partenaires et prendre le leadership. Ce changement est problématique car il rompt avec cinquante ans d’une politique qui considérait que l’ouverture des économies profitait finalement à tous. Nous sortons de cette logique, et cela va peser sur les entreprises et les économies européennes, particulièrement sur celles qui sont le plus tournées vers l’exportation, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.

Cette « tax bill » sonne ainsi comme un rappel de la philosophie de Donald Trump : les États-Unis d’abord. À ses yeux, la seule priorité doit être d’avantager l’économie américaine, quitte à ce que cela se fasse au détriment du reste du monde.

L’idée portée par Donald Trump, et que l’on retrouve dans ces mesures fiscales, est que l’économie est un jeu à somme nulle : ce que je gagne quelqu’un doit le perdre. C’est une erreur car l’économie mondiale ne fonctionne pas du tout comme cela.

Recueilli par Antoine d’Abbundo et Mathieu Castagnet
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