Cours : 2_Les menaces qui pèsent sur le lien social

Selon Durkheim, la division du travail social explique le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique, car elle provoque une différenciation des individus et modifie la cohésion sociale.
La division du travail social a ainsi une action paradoxale car :


– d’une par, elle renforce la cohésion sociale, car chaque individu a d’autant plus
besoin des autres pour vivre qu’il est spécialisé dans une activité. D’où une interdépendance
croissante entre les membres de la société, qui nécessite de la solidarité (organique).

– mais d’autre part, elle permet une différenciation, une individualisation*, des membres de la société par le développement des consciences individuelles. Les sociétés humaines sont marquées sur le long terme par une montée de l’individualisme : chaque individu se voit accorder une plus grande place et une plus grande importance dans la société.

Si la division du travail social peut créer du lien en instaurant un nouveau type de solidarité, ce n’est donc pas
toujours le cas.

La division du travail peut être anomique

[Le] défaut de réglementation ne permet pas l’harmonie régulière des fonctions. […] Dans tous ces cas, si la division du travail ne produit pas la solidarité, c’est que les relations des organes ne sont pas réglementées, c’est qu’elles sont dans un état d’anomie. […] Ces conditions nouvelles de la vie industrielle réclament naturellement une organisation nouvelle ; mais comme ces transformations
se sont accomplies avec une extrême rapidité, les intérêts en conflit n’ont pas encore eu le temps de s’équilibrer.
Emile Durkheim, De la division du travail social (1893), PUF, 1967

 

Pour qu’il existe une certaine  cohésion sociale au sein d’un groupe social, cela suppose que les membres d’une société entretiennent des liens sociaux, partagent les mêmes valeurs et ont le sentiment d’appartenir une même collectivité. La cohésion sociale suppose donc à la fois, une société intégrée et une société régulée.

L’intégration sociale suppose que les individus appartiennent à un groupe social et aient des relations sociales au sein de ce groupe. Cela se traduit donc non seulement,  par l’intégration de l’individu dans le groupe (c-a-d  qu’il adopte le mode de comportement du groupe et ses idéaux  afin qu’il puisse nouer des relations avec les autres membres du groupe) , mais aussi par l’intégration de l’individu par le groupe (acceptation de l’individu par le groupe qui lui reconnaît son appartenance).

On ne peut parler de société est intégrée, que si les individus ont des comportements communs, une conscience d’appartenir au groupe et une forte sociabilité*.

Cela signifie aussi que les comportements indésirables doivent être proscrits ! Cela suppose donc qu’une société intégrée est aussi une société régulée, c’est-à-dire, que les individus aient intériorisés les normes* et les valeurs* de la société afin qu’ils aient un comportement conforme à ce que la société ou le groupes social attend.

La régulation implique donc un contrôle social permanent afin rendre les individus conformes.

Finalement, une société peut maintenir sa cohésion sociale si :

– il existe des instances qui transmettent un modèle commun à tous

– les individus perçoivent clairement le modèle

Or, si dans la société traditionnelle, il existe des institutions fortes (la famille, l’Etat…) qui socialisent l’individu dans le même sens pour lui faire accepter la société telle qu’elle est, dans la société industrielle, le poids des institutions sur l’individu diminue. L’intégration et la régulation peuvent se faire plus difficilement. On peut observer ainsi des formes pathologiques de la division du travail : les individus et les fonctions sociales ne sont pas coordonnés entre eux.

La division du travail ne  produit pas toujours de la solidarité lorsque les contacts entre les « organes » sont insuffisants (manque de contiguïté). L’affaiblissement du contrôle social peut provoquer une perte du lien social, l’individualisme peut alors conduire à l’anomie lorsque l’individu n’a plus de règles contraignantes ou lorsque les règles sont contradictoires, ce qui l’empêche d’orienter sa conduite.

A retenir

Qu’est-ce que l’anomie ?
Anomie : situation dans laquelle les normes sont inexistantes ou contradictoires, de sorte que l’individu ne sait plus comment orienter sa conduite. L’anomie résulte donc d’une carence de la réglementation qui entraîne une rupture passagère ou durable de la solidarité entre les individus.

Pourquoi la division du travail peut-elle être anomique ?
La division du travail pendant la révolution industrielle a été un phénomène de transformation profond et rapide, si bien que les nouvelles règles ne sont pas encore clairement définies, certaines règles ne plus adaptées à la situation, ce qui entraîne une situation d’anomie, lié au développement trop rapide de l’individualisme.

Ex de causes de l’anomie :

  • affaiblissement du contrôle social (des parents),
  • organisation du travail individualisée => absence de communication entre collègues, montée de la polyvalence, solitude dans les tâches à effectuer, pression de la hiérarchie, alourdissement de la charge de travail…

 

Le processus d’individuation peut conduire à des dysfonctionnements : s’il y a un accroissement anormal de la conscience individuelle aux dépens de la conscience collective, l’intensité du lien social s’affaiblit et on voit se développer des situations anomiques.

 Les « formes anormales » de la division du travail sont des dysfonctionnements qui empêchent la division du travail de produire de la solidarité. Elles affectent les processus de socialisation et de régulation sociale et menacent l’intégration de l’individu à la société et la cohésion sociale.

L’individualisme remet-il en cause le lien social ?

Les sociétés démocratiques modernes se caractérisent par l’individualisation.
Le « je » prend plus de place au détriment du « nous ».
Le processus d’individualisation doit être relié à la montée de l’individualisme*.

On distingue :

  • Un individualisme positif : l’individu ne peut se passer de l’autre mais c’est lui qui choisit sa relation sans pression du social. Ainsi, le mariage d’amour a remplacé le mariage arrangé de nos ancêtres. L’individu s’est émancipé. Il construit sa relation avec les autres. Il s’agit donc d’un individualisme relationnel.
  • Un individualisme négatif s’il aboutit à la naissance d’un individu solitaire coupé de la société, au comportement anomique.  Il peut entraîner un repli sur soi (égocentrisme) ou sur de petites communautés (tribalisme) ce qui lui fait perdre le sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Cet individualisme semble être dû à un affaiblissement des instances d’intégration et peut remettre en cause la cohésion sociale (montée du racisme et de la xénophobie, par exemple).

 

L’individualisme négatif remet en cause le lien social et la volonté de vivre ensemble. Plusieurs indicateurs vont dans ce sens :

  • L’affaiblissement du lien religieux : diminution des croyances religieuses, des pratiques religieuses, des vocations, du sacerdoce…car la société s’est peu à peu sécularisée.
  • L’affaiblissement du lien familial : baisse des mariages, apparition du divorce, baisse de la natalité, croissance des familles monoparentales et du célibat, éloignement des enfants à l’âge adulte. Les liens familiaux ne disparaissent pas mais ils se recomposent et sont moins contraignants.
  • L’affaiblissement des liens syndicaux et associatifs : baisse du taux de syndicalisation, diminution de la participation aux élections professionnelles, aux grèves, baisse du bénévolat…
  • L’affaiblissement du lien politique : baisse du taux de participation aux élections, du nombre d’inscrits dans les partis, disparition du militantisme, sentiment d’une coupure entre les élites politiques et le peuple… qui montrent un déclin de la citoyenneté.
  • L’affaiblissement du lien civique : montée des incivilités dans l’espace public, affaiblissement des règles de politesse, croissance de la petite délinquance…qui incitent les individus au repli sur soi et à une demande de plus grande autorité de la part des pouvoirs publics.

 

Cependant, les effets de l’individualisme sont ambivalents. On peut aussi remarquer que l’individu peut se libérer grâce à l’individualisme : individualisme émancipateur, qui lui permet de faire des choix libres et informés, c’est-à-dire d’être autonome. Grâce à l’individualisation, l’individu a plus de marges de manœuvre dans la conduite de sa vie, il a peu à peu acquis une capacité à se définir par lui-même et non en fonction de son appartenance à telle ou telle entité collective.

L’individualisation s’est paradoxalement traduite par une hausse des interdépendances collectives :  l’individualisation n’entraîne pas nécessairement un isolement accru des individus mais au contraire un besoin accru de relations sociales :

Le fait que les individus contemporains soient « individualisés » ne signifie pas qu’ils aiment être seuls, que leur rêve soit la solitude. Il veut dire que ces individus apprécient d’avoir plusieurs appartenances pour ne pas être liés par un lien unique. Pour l’exprimer schématiquement, le lien social serait composé de fils moins solides que les fils antérieurs, mais il en comprendrait nettement plus. […]
La multiplication des liens d’appartenance engendre une diversité des liens qui, pris un à un, sont moins solides, mais qui, ensemble, font tenir et les individus et la société. […] C’est en pouvant se déplacer d’un groupe à l’autre, en pouvant prendre distance de ses proches, que l’individu individualisé peut à la fois se définir comme un membre d’un groupe et comme doté à la fois d’une personnalité indépendante et autonome.
François de Singly, Les uns avec les autres, Quand l’individualisme crée du lien, Fayard/Pluriel, 2010

 

Selon François De Singly, des liens multiples remplacent un lien fort, l’individualisation permet aux individus d’avoir plusieurs appartenances pour ne pas être lié par un lien unique. Elle est à l’origine d’un nouveau type de lien social : loin d’atomiser la société en un rassemblement d’individus isolés et sans aucun lien entre eux, elle leur permettrait au contraire de devenir détachés de leurs appartenances traditionnelles (famille, village, Eglise) et donc libres d’en (re)nouer de nouvelles, choisies (électives) et non pas contraintes par le
statut : l’individu choisit plus librement ses relations.
L’individualisme ne signifie donc pas affaiblissement des liens sociaux

Exercices

  1. http://www.ses.ac-versailles.fr/nqw/web/sociologie/individualisme/main.html#
  2. https://pedagogie.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/ses/ressources_pedagogiques/02_terminale/03_ens_specifique/10_liens_sociaux/livre_didapages/index.html

 

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