la crise asiatique et la déflation par la dette

La crise asiatique débute le 2 juillet 1997 avec la décision de laisser flotter le baht thaïlandais après que celui-ci a subi une série d’attaques spéculatives. Le baht entraîne dans sa chute les monnaies indonésienne, malaise et philippine, puis la crise s’étend à la Corée, à Taïwan, à Singapour et à Hong Kong. Survenant après plusieurs décennies de résultats économiques exceptionnels en Asie, cette crise, d’une très forte ampleur, se propage rapidement au reste de l’économie mondiale. En Indonésie, en Malaisie et aux Philippines, de vives tensions sur le marché des changes aboutissent à l’adoption d’un régime de changes plus flexible et à une dépréciation* notable des monnaies nationales, ainsi qu’à un recul prononcé de la valeur des actifs.

À l’origine des difficultés asiatiques, on trouve l’endettement massif de certains pays qui ont surinvesti au cours des années 1990 dans des projets parfois peu rentables ou très risqués, plus particulièrement dans le secteur immobilier. Une partie importante de la dette du secteur privé ayant été contractée en monnaie étrangère (principalement en dollars) sans couverture, le risque de change* était important, une dépréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar faisant mécaniquement augmenter le montant de la dette.

Ce surendettement s’explique de plusieurs façons : par un excès d’optimisme des investisseurs locaux et internationaux, par la fixité des changes par rapport au dollar qui donne l’illusion d’une neutralisation du risque de change, et enfin par l’existence d’une bulle immobilière. Grâce à l’augmentation des cours de l’immobilier, des emprunts importants ont pu être contractés, les biens immobiliers étant souvent offerts en garantie. L’endettement de la Thaïlande représente ainsi 100 % de son PNB en 1996 contre 64,5 % en 1990, période pendant laquelle sa dette extérieure a doublé.

En 1997, suite à la baisse des exportations thaïlandaises, les acteurs économiques prennent conscience que le taux de change fixe avec le dollar est insoutenable. Les entreprises locales qui ont contracté des dettes en dollars, anticipant une prochaine dévaluation*, se précipitent pour les convertir en monnaie locale et rembourser ainsi au plus vite. Ce mouvement amplifie les tensions existant sur le marché des changes : plus les dettes extérieures sont remboursées, plus le dollar et son coût réel augmentent. Les banques locales, constatant le renchérissement de leurs emprunts extérieurs et prenant conscience qu’elles ont accumulé des créances douteuses, restreignent massivement leurs octrois de crédits – suivies par les investisseurs internationaux, qui tiennent le même raisonnement. À mesure que les banques refusent de refinancer les acteurs privés, ces derniers sont contraints de vendre leurs actifs réels et financiers pour se procurer des liquidités et rembourser leurs dettes. La vente massive de ces actifs fait baisser leurs prix, ce qui diminue en retour la capacité financière des entreprises, dissuadant encore plus les banques de prêter de l’argent, et déclenchant ainsi des faillites en série. C’est ainsi qu’un mouvement de déflation par la dette interne vient amplifier le processus de déflation engendré par la dette extérieure.

La crise asiatique est un exemple quasi parfait du phénomène de debt-deflation ou déflation par la dette, théorisé par Fisher en 1933 pour expliquer la crise de 1929. Pour Fisher, toute crise est précédée d’un surendettement (dû à une spéculation excessive et à des investissements trop optimistes), et suivie d’une déflation. Fisher, à l’instar de Keynes, accorde une place importante aux mouvements mimétiques : il considère que des facteurs psychologiques généralisent et accentuent le mouvement d’endettement initial. La défaillance de quelques emprunteurs importants suffit pour que les acteurs revoient leurs anticipations de profits à la baisse. La défiance se généralise rapidement et l’offre de financement est réduite. Les acteurs économiques se trouvent obligés de vendre leurs actifs pour honorer leurs dettes, ce qui entraîne alors une baisse des prix des actifs, et enclenche une spirale déflationniste. En 1982, Minsky amende la théorie de Fisher tout en gardant l’idée de debt-deflation. Minsky distingue trois modes de financement : le financement couvert (les revenus attendus excèdent la charge de l’emprunt), le financement spéculatif (les revenus attendus couvrent simplement les intérêts de la dette) et le financement de Ponzi. Lors des phases d’expansion économique et d’euphorie sur les marchés, la part des financements de Ponzi augmente par rapport aux autres. Le risque encouru par les créanciers devient plus grand (ils offrent des crédits plus risqués), mais tant que les anticipations de profits sont bonnes, l’expansion se poursuit. Au moindre ralentissement néanmoins, à la moindre faillite d’un acteur relativement important, les anticipations peuvent se retourner à la baisse et la spirale de la debt-deflation s’enclencher. C’est exactement ce qui s’est passé en Asie. Les acteurs étaient à l’époque très optimistes, des crédits inconsidérés étant accordés grâce à l’envolée de l’immobilier, plaçant toute la zone en position de vulnérabilité – ce qui n’est pas sans rappeler les causes de la crise des subprimes [Paul Jorion, p. 212].
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La crise financière asiatique a mis le Fonds monétaire international (FMI) sur le devant de la scène [Jérôme Sgard, p. 267]. Malgré ses conseils, ses programmes de réformes et ses aides financières, le FMI s’est révélé incapable d’endiguer la crise et l’a même, selon certains analystes, aggravée. Son intervention a consisté à préconiser une politique monétaire restrictive pour enrayer l’effondrement des taux de change, et à susciter la mise en œuvre d’une politique budgétaire prudente. Les réformes structurelles ont visé à restructurer le secteur des banques, en pratiquant des fusions et en fermant les établissements non viables. Les conséquences sociales de l’austérité des programmes ont été vivement dénoncées. La Banque mondiale elle-même a adressé des reproches au FMI.

Navarro Marion, « Retour sur la crise asiatique », Regards croisés sur l’économie, 1/2008 (n° 3), p. 273-275.

URL : http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1-page-273.htm

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